Les danseurs :

des "experts" en traduction simultanée

FB - © janvier - février 2015


 

     Danser : traduire en temps réel, dans l’espace tangible, celui à trois dimensions, par le langage du corps, ce que la musique, qui a un sens, nous raconte dans son langage à elle, celui qui se développe dans l’espace sonore, la musique et la danse se déroulant dans une dimension commune : le Temps. Ainsi, le danseur et la danseuse sont bel et bien des traducteurs et, qui mieux est, ils doivent être "experts" en traduction simultanée. 


      Le langage de la musique est -à n'en pas douter- un langage articulé, possédant une grammaire, une syntaxe, un vocabulaire, un phrasé ; le langage des corps en est aussi un, avec ses règles et ses moyens d’expression propres.

 

     Que nous dit la musique du Tango ? Elle nous dit d’abord de danser, elle est écrite pour ça ! Elle nous dit aussi d’autres choses : elle exprime des sentiments, des humeurs, des états d’âme, de la douceur, du chagrin, quelquefois de la violence… Tout cela, nous avons à le traduire par notre corps, en utilisant le langage qui est le sien : ses phrases, ses mots, c'est-à-dire ici les mouvements et déplacements, avec le caractère, le phrasé, que nous pouvons leur donner.


     Il est certain que les mouvements et déplacements possibles en Tango ne sont pas en nombre infini : on ne peut pas faire n’importe quoi, il y a des règles (le Tango étant l'une des langues que le corps peut parler) ; mais, en langage Tango, ces gestes sont assez nombreux et supportent suffisamment de variantes et de modes d'exécution pour que nous puissions donner à notre danse une grande richesse d’expression.

    


   Ni le langage musical, ni le langage corporel ne sont notre langue maternelle. Encore que, pour le langage corporel, nous l'avons peut-être initialement et nous l'avons perdu !


     Et, à moins d'être vraiment "fluent" en chacune de ces langues, le passage de l'une à l'autre ne semble pas pouvoir se faire, à proprement parler, de manière immédiate. Tout au moins dans un premier temps, nous avons besoin du truchement d’un "dictionnaire" Musique/Danse (Sons/Gestes), c'est-à-dire besoin de la médiation d'une représentation mentale. Dans ces conditions, nous aurons du mal à produire une traduction simultanée fidèle. Soit elle ne sera pas vraiment simultanée (à ouvrir à tout instant le dictionnaire, on prend du retard...), soit elle sera maladroite - si ce n'est les deux ! 


    La connaissance de la langue d'arrivée, le langage du corps, pourra être améliorée par le développement de la conscience corporelle, en particulier par différentes techniques assez répandues (développant les sensations kinesthésiques), telles que la méthode Feldenkrais, ou autres... Il conviendra aussi de veiller à progresser dans la connaissance de la langue de départ : le langage musical.

 

     Ainsi, en nous disposant, d'une part, à une grande réceptivité dans l'écoute de la musique et en nous appliquant, d'autre part, à un exercice assidu de la conscience du mouvement, nous comprendrons de mieux en mieux le langage de la musique, nous pourrons aussi maîtriser de mieux en mieux le langage du corps et, nous affranchissant de l'emploi du dictionnaire, notre traduction deviendra de plus en plus concomitante et les mots, les phrases de nos corps seront de plus en plus justes. Nous devrions alors pouvoir devenir des traducteurs simultanés (de la musique en danse) des plus corrects !

    

     Pour être plus précis, le danseur, dans sa traduction simultanée, interprète dans son langage le discours sonore de la musique, non par des déplacements mais par des mouvements qui sont à la fois des intentions de déplacement (ils le préparent) et des propositions de mouvements et déplacements adressés à la danseuse, le déplacement proprement dit du danseur intervenant une fraction de seconde plus tard, dès qu’il aura senti dans son corps que la danseuse a réagi à sa proposition.

 

     La deuxième phase de traduction simultanée, non moins importante, est celle où la danseuse comprend le langage corporel du danseur, le traduit dans son propre langage, tout en traduisant elle aussi le langage sonore de la musique. Recevant simultanément des messages de deux sources différentes, elle doit réaliser le tour de force d'en faire la synthèse et de produire, dans l'instant, une traduction simultanée de ces deux discours ! On constate pourtant que les danseuses - grâce à une aptitude naturelle plus développée chez le beau sexe que chez l'autre ! - y parviennent en général très bien, pour peu que leur danseur, dans son langage corporel, traduise assez fidèlement et clairement le discours de la musique...

 

     N'oublions pas enfin la troisième phase de traduction simultanée, celle où le danseur comprend ce que la danseuse exprime par son mouvement et, en rétroaction (feedback), ajuste ses propres déplacements.

 

 

     Comme on le voit, pour chacune de ces opérations, danseur et danseuse doivent être en mesure

  • d'écouter avec la plus grande sensibilité et de comprendre avec la plus grande sagacité les deux autres langages (celui de la musique et celui du -de la- partenaire) ; 

et,

  • chacun d'exprimer dans son propre langage corporel les informations reçues,

le tout dans la rapidité de la fraction de seconde, sans pour autant faire preuve de précipitation... Cela demande bien sûr un certain entraînement pour acquérir ces dispositions d'esprit, de coeur et de corps, qui supposent, dans la réception des messages, une sorte d'attention flottante, exempte de toute crispation et, dans le rendu corporel, une réactivité instinctive, quasi animale, hors de tout processus volontaire.

 

     De tout cela, il pourra résulter, pour chacun, une sensation d'aisance, d'adéquation à la musique ; une entente s'établira entre les deux partenaires, qui éprouveront le bonheur de danser juste, bonheur semblable à celui du traducteur trouvant instantanément le mot juste.

 


 

 

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