Une analyse de la structure métrique du tango "Trenzas"

 

     

     Nous proposons ci-après un exemple de tango présentant dans sa structure métrique certains particularités d'écriture (ici des rejets et des contre-rejets).

     Il s'agit du tango Trenzas, tango de 1945 (musique d’Armando Pontier - texte d’Homero Expósito - Voir texte et traduction). 

 

 

Rappel de définitions 

 Enjambement avec rejet

     Une phrase musicale peut déborder (par exemple de la durée d’1 temps) sur la phrase métrique suivante, donnant lieu à une formule analogue à l’enjambement avec rejet connu en poésie. Le dernier accent de la phrase musicale (dans les phrases chantées, c'est la dernière syllabe accentuée) sonne sur le premier temps fort de la phrase métrique suivante.

 

 Enjambement avec contre-rejet

     Il se peut aussi que la phrase musicale anticipe sur la phrase métrique (par exemple de la durée d’1 temps) donnant lieu à une formule analogue à l’enjambement avec contre-rejet, connu en poésieLe premier accent de la phrase mélodique (dans les phrases chantées, c'est la première syllabe accentuée) sonne sur le dernier temps fort de la phrase métrique précédente.

   

     Écoutons la version de Trenzas par Pedro Laurenz - Jorge Linares en 1944.

 

 

     Dans une structure couplet-refrain de forme A B A B, ce tango fait se succéder un couplet A de 4 phrases métriques A1, A2, A3 et A4, chacune de 8 temps forts et un refrain B de 6 phrases métriques (de B1 à B6), chacune de 8 temps forts, ce couplet et ce refrain d’abord instrumentaux sont ensuite repris par le chanteur.

 

     Dans le refrain, apparaissent clairement 3 contre-rejets et 1 rejet, à savoir :

  •  la première phrase musicale commence sur le dernier temps de la dernière phrase métrique du couplet A4, anticipant sur la phrase qui la suit, B1 ;
  • la deuxième phrase musicale commence sur le dernier temps de la première phrase métrique B1, anticipant sur la phrase qui la suit, B2 ;
  • et la troisième phrase musicale commence sur le dernier temps de la deuxième phrase métrique B2, anticipant sur la phrase qui la suit, B3 ;
  • ainsi qu'un rejet, au moment où la cinquième phrase musicale se prolonge sur le premier temps de la sixième phrase métrique B6.

     

     Autrement dit, si l'on compte les temps forts du refrain B, instrumental (mais ce sera vrai aussi pour le refrain chanté) en commençant sur le premier accent, on remarque que les deux premières phrases métriques comporteraient 8 temps forts et que la troisième en comporterait 9 ! C'est que le premier temps fort compté pour la première phrase n'en fait pas partie, mais l'anticipe c’est le dernier temps fort de la phrase métrique précédente.

En fin de troisième phrase musicale, on se recale bien sur le 8ème temps fort de la phrase métrique.

 

 

     Intéressons nous à la partie chantée (c'est plus parlant !)

 

     Nous pouvons la suivre sur le tableau ci-dessous, sorte de partition simplifiée. 

 

   Sur ce tableau, on a fait figurer en violet et en orangé l'alternance des phrases métriques, avec, en grasles syllabes accentuées du chanteur et en bleu pâle, les suspensions (temps forts non accentués) et enfin, sur une case blanche, la pause du Chan-chán final.

 

 

    1

  3

   1

  3

   1

3

  1

3

A1

Trenzas,

se-da

dulce de tus

trenzas,

luna en

sombra

de tu

piel

y de tu au-

-sen-

-cia

 

   1

 3

  1

    3

  1

   3

1

  3

A2

Trenzas

que me a-

taron

en el

yugo

de tu a-

-mor,

yugo

casi

blando

de tu

risa

y de tu

voz

 

 1

   3

1

  3

  1

3

   1

3

A3

Fina

 cari-

-dad

de mi ru-

-tina, me

encon-

-tré

tu cora-

-zón

en

una es-

-qui-

-na

 

   1

  3

   1

 3

 1

  3

   1

       3

A4

Trenzas

 de co-

-lor de

mate a-

-margo

que endul-

-zaron

mi le-

-tar-

-go

gris  ¿A-

dónde

fue tu a-

 

   1

3

   1

3

  1

  3

1

      3

B1

-mor

de

flor

sil-

-ves-

-tre?...

¿A-

dónde

 adónde

 

  1

3

   1

3

  1

 3

1

       3

B2

fue

des-

-pués

de a-

- mar-

-te?...

Tal-

-vez

mi cora-

 

   1

 3

  1

 3

  1

   3

  1

 3

B3

-zón te-

que

per-

-der-te

y a-

-sí mi

sole-

-dad

se a-

-granda

por bus-

-car-

-te.

 

1

     3

  1

 3

1

  3

 1

3

B4

 

¡Y estoy

llorando a-

-sí

 

can-

-sado

de llo-

-rar

 

 

1

  3

 1

3

1

  3

  1

  3

B5

Tren-

-zado a

tu vi-

-vir

 

con

trenzas

de ansie-

-dad

sin

 

 1

    3

  1

3

 1

3

 1

       3

B6

ti...!

¡Por-

-qué

tendré

que a-

-mar

y al

fin

par-

-tir...!

Chan-

chán

    

     Les contre-rejets et les rejets apparaissent clairement :

  • les contre-rejets, à la fin des phrases métriques A4B1 et B2 (au dernier temps fort 3 de la dernière mesure), anticipant ainsi sur les phrases métriques B1B2 et B3 qui les suivent ; 
  • le rejet, au début de la phrase B6 (au premier temps fort 1 de la première mesure), comme prolongement de la phrase B5.

      Le danseur ne devra pas se laisser surprendre par les re-départs anticipés des contre-rejets !

 

 

     Notons enfin que le tableau ne rend pas compte d’éventuels accents de la mélodie sur des temps faibles (des 2 ou des 4) ou, en syncope, sur des et, notamment des "et" placés juste après un temps fort accentué et, dans certains cas, des "et" accentués qui précèdent le temps fort suivant accentué).

 

1

et

2

et

3

et

4

et

 

     Ces accents seraient pourtant à marquer aussi dans la danse respectivement

  • par des doble tiempos (sur des 1--2--3 ou des 3--4--1)
  • ou par des contratiempos (sur des 1-et---3----1 ou des 1-et--et-3----1).

     

     Réécoutons la version de Pedro Laurenz - Jorge Linares.

 

    

 

     A cette écoute, on repère les contre-rejets de la partie chantée à 1.55 (¿Adónde fue tu a-)2.04 (¿Adónde, adónde) et 2.12 (Tal vez mi cora-) et le rejet en 2.38 (sin     ti!).

     Sur la partie instrumentale, qui présente une configuration analogue à la partie chantée qu'elle précède, les contre-rejets sont entendus à 0.320.41 et 0.49 et le rejet à 0.58.

    

Haut de page

 

 

     Écoutons maintenant la version de Miguel Caló, avec Raúl Iriarte au chant, version de 1945.

 

 

     Cette version commence par la "deuxième" strophe (le refrain, instrumental), dans une structure plus différente du type : B A B B.

     Notons que l'on rencontre un contre-rejet dès le début, c'est-à-dire ici que le premier temps fort entendu est un temps 3, d'une mesure qui précéderait la première mesure de la première phrase métrique B1.

     Dans toutes les sections de type B, on retrouve bien sûr les contre-rejets et rejets propres à la partition, déjà signalés dans la version de Pedro Laurenz.

     Repérons-les à l’écoute du morceau sur la vidéo :

     Dans la section B instrumentale :

  • contre-rejets à 0.07 et à 0.15
  • et rejet à 0.38.

     Dans la section B chantée :

  • les contre-rejets à 1.15 (¿Adónde fue tu a-)1.22 (¿Adónde, adónde) et 1.30 (Tal vez mi cora-)
  • et le rejet à 1.53 (sin   ti!),

     On retrouve les mêmes configurations dans la dernière reprise de cette section B, instrumentale d'abord,

  • contre-rejets à 1.59, 2.06 et 2.15,
  • et rejet à 2.22,

puis chantée, à 2.38.

     De plus, du fait de la structure B A B B de cette version, on remarque encore que, dans ce tango, à la liaison entre, d'une part, le couplet et le refrain du chanteur (à 1.15) et, d'autre part, entre le refrain du chanteur et la reprise du refrain instrumental (à 1.59), on peut entendre un chevauchement entre la phrase qui se termine et la mélodie de la phrase suivante qui démarre, une sorte de tuilage. On peut attendre des danseurs qu'ils exécutent ici, dans une extrême fluidité, un fondu enchaîné de leurs déplacements.

 

     Dans un autre ordre d'idées, on remarquera aussi qu'à certains moments le rythme de la mélodie interprété par un instrument ou par le chanteur se trouve légèrement décalé par rapport à l'accompagnement, qui, lui, demeure strictement mesuré : certaines notes sont retardées, d'autres précipitées (*). Ce, bien davantage que dans la version Laurenz - Linares

 

(*) C'est la définition même du rubato.

 

Remarque 

 

     Dans ce qui précède, on aurait pu considérer que les tangos explorés était écrits à 2 temps (2X4, soit 2 noires par mesure), cette mesure étant constituée d'un temps fort en position 1 et d'un temps faible en position 2. L'analyse aurait été la même, mais on aurait remplacé les temps forts en position 3 (moins forts que les temps forts en position 1) de la mesure à 4 temps (4X8) par les temps en position 2 (temps faibles) de la mesure à 2 temps (2X4).

 

 

 

Haut de page

 

  

Page mise à jour décembre 2016