Base rythmique et ligne(s) mélodique(s)

Les couches sonores

 

     En tant que musique pour la danse, la musique Tango comporte une base rythmique (l'accompagnement) et une (ou plusieurs) ligne(s) mélodique(s).

 

     Ainsi, à l'écoute, la partition musicale d'un tango révèle en général plusieurs couches sonores, jouées par les différents instruments.

     En effet, même dans des morceaux assez simples, ce serait bien pauvre si les instruments jouaient tous la même partie, à l'unisson !

 

La base rythmique

 

     En général, la base rythmique (ou accompagnementest assurée, sur des accords bien marqués (marcato), jouant de manière détachée (staccato) par des instruments jouant dans le registre grave. Les accents marquent la plupart des temps forts, certains temps faibles, où ils sont en général moins marqués, et aussi des syncopes. Ils dessinent un rythme plus ou moins régulier.


     Les instruments de la base rythmique sont essentiellement la contrebasse (instrument-roi de la base rythmique, avec ses coups d'archet et ses pizzicati), le bandonéon, et parfois aussi les coups d'archet des violons.

     Les accords de la main gauche du piano peuvent aussi marquer ou doubler la base rythmique. Le piano assure plutôt les mouvements de la mélodie, en jouant de façon plus liée (legato), en marquant des contre-chants, des ornements, ou  des ponctuations en assurant, en fin de phrase musicale, la transition vers la phrase suivante ; il peut encore annoncer le passage à un autre thème dans la section suivante.

      Ainsi, la base rythmique donne la pulsation de la musique. En effet c'est cette succession d'accords, qui font partie de ce que l'on appelle l'harmonie, qui contribuent à donner la sensation que la musique progresse ; elles participent à sa pulsation, à sa dynamique. 

 

     A titre d'exemple, écoutons la première partie (jusqu'à 0.33) d'Indiferencia par Juan d'Arienzo (1938), où, sur les quatre phrases, la contrebasse joue tous les temps forts et tous les temps faibles, sauf en fin de première et de troisième phrases (où la contrebasse se tait : la musique est comme en suspension).

 

 

 

La (les) ligne(s) mélodique(s)

 

   C'est sur les accords de la base rythmique que vient s'accrocher le ruban mélodique du chant d'un instrument (ou de plusieurs instruments, qui alors se répondent ou s'entrelacent) et le cas échéant de la voix du chanteur .

 

 

    Dans le cas le plus simple, peut s'ajouter à la base rythmique une mélodieassurée par un instrument jouant dans un registre plus aigu : le violon, la main gauche du bandonéon, ou encore la main droite du piano... ou la voix du chanteurCes instruments (ou la voix du chanteur) jouent en général de manière liée (legato) et relativement plus douce. On pourrait dire que la mélodie, c'est bien sûr la partie du chanteur dans les passages chantés, et que c'est, dans tous les cas, c'est ce que chacun de nous peut chanter ou tout simplement fredonner..

 

     On devrait plutôt parler de lignes mélodiques au pluriel, à partir du moment où, dans les morceaux dont la composition est plus élaborée, on peut encore entendre sur un même passage, plusieurs lignes mélodiques simultanées. Plusieurs instruments jouent chacun sa partie, ensemble (polyphonie) ou en alternance (chant - contrechant).

 

     A noter que les accords de la base rythmique et les notes de la (des) mélodie(s) sont en rapport entre eux et forment en général un ensemble consonant. Ainsi, le ressenti du déroulement de la musique et de sa progression (le discours musical) est assuré conjointement, dans une relation mélodico-harmonique, par les accords de la base rythmique et par le mouvement et le dessin de la mélodie.

 

     Sur un morceau donné on pourra s'employer, pour chaque phrase, à percevoir si c’est la base rythmique ou la ligne mélodique qui domine, avec les instruments associés aux différentes couches sonores. 


     Notons que, pour le danseur, suivre la base rythmique c'est amorcer ses déplacements (donner l'impulsion) sur les accents entendus. IL en sera de même sur une mélodie, si les accents sont suffisamment marqués. Par contre, si un instrument (violon, bandonéon, ou piano) joue piano ou dolce, quasi en dehors, il s'agira de suivre le mouvement mélodique, c'est-à-dire de repérer les instants où l'instrument attaque une note différente ; c'est sur ces instants que le danseur amorcera ses déplacements. 


 

Les rythmes de la base rythmique et de la mélodie

 

     Une fois données ces indications permettant de distinguer la base rythmique (accompagnement) et la (les) ligne(s) mélodiques et mentionné que le danseur aura à choisir la couche sonore qu’il va suivre et interpréter, on s’intéresse aux différentes formules rythmiques de l’accompagnement et aux différentes formules mélodico-rythmiques de la des mélodie(s).

 

     La base rythmique peut présenter un certain nombre de schémas rythmiques différents. La (les) ligne(s) mélodique(s) peu(ven)t, quant à elle(s), présenter des formules mélodico-rythmiques très variées. Ces divers éléments font toute la richesse de la musique du Tango, sans parler de l'apport des arrangements (orchestrations) originaux et des interprétations particulières des divers orchestres.


 

Les rythmes de la base rythmique

     

     Les formules (ou motifs) rythmiques de l’accompagnement sur lesquels le danseur va articuler sa danse ne sont pas très nombreuses.

     Considérant les accents de cette base rythmique, on peut dire que le danseur aura à amorcer ses déplacements sur des séquences de temps forts accentués, des séquences introduisant des temps faibles accentués intercalés entre deux temps forts accentués (doble tiempos, contratiempos en syncopes…).

     A noter que dans la base rythmique elle-même, l’absence d’accent sur un temps fort ou sur plusieurs temps forts successifs sera l’occasion pour le danseur d’une suspension.   

     Si la base rythmique domine et est bien marquée (marcato), on sera plutôt enclin à marcher ou à faire des figures sur celle-ci, en calant sa danse sur les accents de la musique.

 

 

Les rythmes de l mélodie

 

     La base rythmique étant installée, la (les) ligne(s) mélodique(s) s'y ajoute(nt) pour développer leur discours en une ou plusieurs couches sonores. Ce sont elles qui présentent le thème de chaque section du tango, thèmes aisément repérables, qui expriment tout le lyrisme du morceau. Elles sont en général assurées par les violons et les bandonéons ou encore par le piano, ces instruments jouant alors en général de façon relativement liée (legato).

     Les formules présentées par la mélodie sont plus variées.

     On notera d’abord que, comme pour la base rythmique, le danseur va aussi marquer dans ses déplacements les accords entendus. Mais aussi, sur les passages où un instrument domine (joue en solo ou est nettement détaché par rapport à l’orchestre), tout en s'appuyant sur les accents de la base rythmique, la (les) ligne(s) mélodique(s) va (vont) utiliser une grande variété de motifs, alliant de toutes les manières possibles des notes de durées différentes : les temps (*), les demi-temps et les quarts de temps, agencés de manière diverse, mais aussi, à la différence de la base rythmique, souvent des valeurs longues (notes tenues : par exemple une note commencée sur un temps fort se prolonge sur au moins une partie ou sur la totalité du temps suivant, ou encore sur plusieurs temps successifs). Le danseur va alors initier ses déplacements sur les changements de note de l'instrument qui domine, changements de note intervenant après des durées variées. En particulier les valeurs longues, motifs les plus intéressants pour les danseurs, leur offrent la possibilité, dans la marche ou dans les figures, de prolonger le déplacement (par exemple le pas) entamé sur le premier temps fort pour couvrir toute la durée de la note tenue (par exemple sur deux temps au lieu d'un seul). 


(*) Rappelons que nous considérons comme valant 1 temps la durée entre l'attaque d'un temps fort et l'attaque du temps fort suivant.

 

    Quant aux envolées du bandonéon ou des violons, dans des variations virtuoses sur le thème, elles inciteront à certaines figures circulaires, tels que les tours, dans l'exécution desquels on s'appuiera sur les temps temps forts (les 1 et les 3) ou bien sur les temps forts et les temps faibles (les 1,  les 3, et éventuellement les 2 et les 4). Ainsi par exemple, s'il est joué 8 notes par temps (triples croches dans une mesure à 2x4 ou à 4x8), on pourra ne se déplacer (pas et/ou pivots) que toutes les 8 notes (temps) ou -deux fois plus vite- une note sur 4 (demi-temps).

 

     On note encore que bien souvent les accents, en particulier ceux portés par les temps forts, sont précédés par une ou de plusieurs notes brèves non accentuées, qui en constituent la levée. C’est sur cette durée brève que le danseur pourra préparer son déplacement et manifester à la danseuse son intention et sa proposition de mouvement.


  

Les tangos chantés

 

     Parmi les lignes mélodiques, une ligne bien particulière à suivre par le danseur est celle assurée par le chanteur. 

 

    Qu’il danse en suivant la base rythmique ou une ligne mélodique instrumentale, le danseur donne l’impulsion de son pas sur les accents de la musique. Il en sera de même sur un passage chanté : le danseur donnera alors l’impulsion de son déplacement sur les syllabes accentuées du chanteur. Il est en effet de tradition, lorsque le chanteur intervient, de danser en suivant son chant et non la base rythmique ou une ligne mélodique instrumentale entendue simultanément.

 

     Bien que, pour la plupart des tangos chantés, le compositeur ait pris soin de bien faire coïncider les accents de la musique avec les accents toniques du texte espagnol (c'est d'ailleurs, en toute langue, la moindre des choses !), on s'aperçoit que le chanteur, pour donner plus d'expression à son interprétation, prend souvent des libertés avec la mesure en chantant rubato (*). Si les danseurs suivent le chanteur, ils doivent être conscients qu'ils dansent aussi rubato !

(*) Rubato : Mode d'exécution qui consiste à décaler légèrement le rythme de la mélodie en retardant certaines notes, en en précipitant d'autres, tandis que l'accompagnement demeure strictement mesuré (Pinch. Mus. 1973).

 

     Parmi les chanteurs ayant adopté assez systématiquement le mode rubato, on cite couramment Ángel Vargas et Roberto El Polaco Goyeneche, qui sont parfois aussi considérés comme des "diseurs de tangos" dans des morceaux où leur interprétation tient plus du parlé ou du récitatif que du chant.  On s'efforcera, même dans ce cas, de suivre la voix du chanteur en ses accents.

 

     Ainsi, Ángel Vargas dans son interprétation de Adiós arrabal, avec l'orchestre d'Ángel D'Agostino (1941).

 

 

     ;

 

 

ou dans celle de Tres Esquinas, également avec l'orchestre d'Ángel D'Agostino (1941).

Ecouter notamment de 1.31 à 1.38.


  

 

 

 

 

D'une couche sonore à l'autre

 

     L'un des grands intérêts du Tango est la liberté qu'il laisse au danseur de choisir sur quelle couche musicale entendue -sur la base rythmique ou sur la (ou une) ligne mélodique- il souhaite accorder sa danse, sachant qu'il peut passer de l'une à l'autre selon le caractère, rythmique ou mélodique, des phrases successives.

     Si on se pose la question de savoir ce que sera le caractère de la phrase qui suit, on peut observer que, souvent, à une phrase au rythme bien marqué succède une phrase où la ligne mélodique prend le dessus.avec donc une alternance de phrases rythmiques et mélodiques. Mais il peut aussi arriver que, sur une même phrase, on rencontre en alternance des parties jouées marcato et des parties jouées legato. 

 

 

 

     Dans la page suivante, on développe la notion de discours musical, en mettant en évidence les phrases musicales, les cadences, la ponctuation, les respirations...

 

 

 

 

 

Page remaniée juillet 2015


 

 

(à suivre : Le discours musical, phrases métriques et phrases musicales)